Longtemps je me suis souvenu de cette année là comme un vin bonifié par le temps : un souvenir sans ride.
Maroc : 1891. Je vois encore ce grand désert à perte de vue. Le soleil caressant sa sable-peau douce et délicate.
Après avoir traversé le Sahara en chameau, j’ai eu une vision. C’est à ce moment là que j’ai su. Il me fallait poursuivre mon voyage jusqu’à Marrakech. Là où il sentait bon le parfum enivrant des différentes épices et autres plantes exotiques dans le souk.
Je fis escale à Marrakech, suivant mon intuition. Le souk regroupait des artisans et des commerçants en quête du client. C’était un labyrinthe d’étroites ruelles dans la Médina : la vieille ville. Je flânais dans cette atmosphère « médiévale ».
Un discret magasin attisa ma curiosité. Il était noyé dans une marée humaine. On voyait à peine la marchande, assise, les yeux fixant les gens à la recherche d’un visiteur qui veuille bien lui acheter un de ses tapis… Je m’approchai lentement. Cette vieille femme dégageait une présence presque inaccessible : envoûtant. Elle m’invita à venir découvrir la richesse de ses tapis. Je la considérai. Ses longs cheveux blancs pleuvaient sur ses épaules, les yeux agates nourris par une riche existence. Elle me fixa un instant, puis j’étais comme subjugué par ses pupilles qui m’appelaient à un long voyage à travers les âges. Soudain, elle me demanda : « D’où venez-vous mon jeune homme ? ». Je lui répondis vaguement : « D’ici et d’ailleurs… ! »
Puis, un tapis se glissa tel un serpent surgi de nulle part dans les galeries de mon inconscient. Je le contemplais. Je le scrutais du coin de l’œil. J’étais comme aveuglé par la beauté des figures géométriques qui habillaient avec majesté le tapis. J’étais hypnotisé par l’histoire qui en dégageait… La dame sourit. Elle me glissa au creux de l’oreille : « Voulez-vous du thé ? ». Je pris conscience de cette atmosphère qui régnait en maître dans ces marchés : beaucoup d’humanité mélangée avec un je-ne-sais-quoi ! Quelque chose d’à peine perceptible par nos sens : un parfum, un son… ! Que sais-je ? Puis, je fus transporté dans un autre univers…
Mon esprit voyageait dans les couloirs du temps… là où jadis vivait une femme d’une rare beauté.
Atterrissage. J’avais fait un bon de 1400 ans. Maroc : 491. Mes yeux posaient ma conscience sur ce nouveau territoire. Où étais-je ? Seule une oasis maquillait ce paysage aride. Je rejoignis cette île luxuriante. Le sable balayait mes pas au fil du vent qui soufflait…. Puis, plus rien. Le noir total…
Soudain, des voix résonnèrent dans mes oreilles. J’ouvris les yeux. J’étais de retour au marché. La vieille femme me sourit de nouveau. J’avais dû avoir un petit flottement. « Voulez-vous du thé ? », me répéta t-elle. Je lui répondis et bus une tasse de thé vert tout en lui demandant de me raconter l’histoire de ce tapis qui ne m’était pas étranger… Il m’habitait. Il me connaissait. Il semblait raconter mon histoire.
La conteuse me révéla l’origine de ce tapis qui m’était familier. J’appris que c’était une femme du pays de Nagar qui l’avait confectionné pour son amant au VIème siècle après J.-C. J’étais étonné par la conservation de ce tapis. Elle ajouta : « Elle s’appelait… ». A moi de rajouter : « … Aïssa de Nagar ! ». Sur le coup, nous fûmes tous les deux surpris. Je ne sais comment l’expliquer, mais son nom résonna dans ma tête comme un boomerang. Le conte nourrissait la légende de cet intrigant tapis. J’étais en osmose avec lui. Je lui demandai : « Mais qui est donc Aïssa ? ». La commerçante m’insuffla : « Aïssa était une simple bergère éprise d’un amour impossible… ! Sa beauté asseyait les hommes à ses pieds. Le plus connu d’entre eux… ». Soudain, je fus pris d’un léger malaise…
Décollage pour une destination inconnue. J’atterris près d’une maison en terre cuite. Au fil de mes pas, le décor se plantait : une jeune femme, fort belle, avec les cheveux bouclés caressant son doux visage et tombant en cascade sur ses épaules. Elle était brune. Elle me sourit…Elle avait les yeux agates qui illuminait le cœur des hommes… Puis, retour à la case départ. Me revoilà, au marché au côté de la vieille femme. Un instant, je m’étais glissé dans la peau d’un jeune homme élégant… C’est comme si je connaissais les protagonistes du conte. Etait-ce une simple légende qui habitait mon âme ? En tout cas, Aïssa ne m’était pas inconnue : ses yeux me rappelaient un doux souvenir. J’avais l’impression d’avoir maintes fois répété cette scène : un jeune homme riche en apparence, prince berbère, subjugué par la beauté d’une simple bergère tout près d’une oasis… La marchande me resservit un peu de son thé… Tout en le dégustant, je plongeais à nouveau dans ce tourbillon temporel. Le regard de la vieille femme s’était chargé en émotion. Maintes fois, elle avait raconté l’histoire de ce tapis aux simples voyageurs ! C’était la première fois qu’elle semblait appartenir à cette histoire : une petite fille dans les bras de sa mère attendant son père, prince berbère. Elle me confia que Aïssa n’était pas une simple légende. Elle me demanda de l’accompagner dans ce conte… L’ambiance mille et une nuit me croqua. Tout s’accélérait autour de moi…
Puis, me voilà transporté sur le dos du Temps…
Emorizo, alias F. Ménez
PS: Il s’agit d’un petit retour en arrière de dix années. Juste un court récit…
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