Le silence de la mort

Extrait de: « Rendez-vous insolites avec le destin (2009) »

Tandis que l’hiver installe progressivement ses troupes sur un manteau grisâtre, nous nous réfugions dans notre repère à la fois glauque et pestilentiel. Ce dernier est souvent propice à des rencontres électriques avec d’autres civilisations. Par exemple, on y croise de gros rats au pelage gris et noir : de redoutables rongeurs. Ils sont notamment connus pour leur grande férocité et leur vélocité. Mais, leur espèce est rarescente et donc en voie d’extinction. Toutefois, cela n’empêche pas les batailles acharnées et meurtrières. Nous avons dénombré plusieurs centaines de victimes dans notre rang en l’espace de deux combats décisifs. Nous ne sommes pas pour autant dépourvus d’armes contre ces rats. Nous avons un atout majeur : nous sommes plus intelligents.

La fin de l’automne marque aussi la période de chasse des Monstres : nos plus virulents prédateurs. A côté de ces Géants, les gros rats sont inoffensifs. Parfois, ils s’aventurent dans notre territoire. Les Monstres sont notre plus grand cauchemar. Ils nous pourchassent et sélectionnent les plus rapides et les plus futés d’entre nous. Pour cela, ils sèment d’ingénieux pièges. Ils dénichent ainsi les meilleurs spécimens. Malheureusement pour moi, qui suis pourtant d’une grande prudence, ils m’ont capturé avec mes frères et sœurs.

Une légende court dans les couloirs du Temps. Depuis des générations et des générations, on nous enlève pour nous faire subir des sortes d’expériences dans d’atroces souffrances. On nous infligerait des tortures calculées à la mesure d’un métronome. Ce sont les expéditions menées contre l’Ennemi qui témoigneraient d’un tel acharnement. On n’en sait pas plus. Si ce n’est que la plupart des missions ont échoué, se résumant à un véritable massacre organisé.

C’est bien trop dangereux de s’approcher des Monstres. La curiosité a déjà coûté chère à mon père qui fut en son temps un grand explorateur.

Je devine un lieu empreint d’un je-ne-sais-quoi qui ne me dit rien qui vaille.

Les Géants nous paralysent avec une drogue. Je ne sens plus mes membres. J’ai l’impression que mon cœur a cessé de battre.

Le cauchemar commence, multipliant les technologies pour expérimenter. Quoi ? Cela, on l’ignore.

J’ai peur. D’ailleurs, je vois notre avenir d’un mauvais œil. En effet, des odeurs nauséabondes maquillent – de ce qu’il m’est possible de voir – un décor pénétrant et glacial.

Je suis allongé sur le côté, le temps d’une manipulation. Soudain, je vois. Je vois une partie de mes frères et sœurs baignant dans un liquide jaunâtre. Le pire : leur cri strident qui accompagne l’horreur. Car, la drogue paralysante ne nous procure aucune analgésie. Nous sommes prisonnier d’un corps qui nous fait souffrir. J’aperçois du coin de l’œil un de mes congénères attribué d’une oreille de Monstre greffée à même le corps. C’est horrible.

Ankylosé, je n’arrive pas à voir ce que me font endurer les Géants. Qu’adviendra t-il de notre destiné ? Il paraît que l’on souffre le martyr les premières heures. Bizarrement, je ne sens pas grand-chose. Est-ce une ruse des Géants ? J’ai conscience que quelque chose d’anormal se trame autour de moi. D’ailleurs, mon corps ne m’appartient plus. Ils s’en sont emparés comme un trophée. Je suis leur terrain d’expérimentation.

Je me réveille dans une cage comme un rat de laboratoire. On se croirait dans un musée d’abomination tant le décor s’y prête. Les Monstres m’observent guettant les moindres faits et gestes. Puis, des dizaines de Blouses Blanches se pressent pour me tripoter comme un animal de compagnie. Puis, je suis pris de malaise. Pourquoi les intéressons nous autant ? Là-dessus, j’ai une théorie qui vaut se qu’elle vaut. Autrefois, nous acheminions des virus, telle la variole, qui anéantirent en partie des civilisations de différents Monstres. En tout cas, la peste noire qui a touché des Populations de Géants entre 1347 et 1351 : ce n’est pas nous ! Nous y sommes pour rien. Il s’agit des rats noirs. Attention. A ne pas confondre avec nous. Il est vrai que nous sommes, depuis des millénaires, un des vecteurs primordiaux de maladies plus ou moins graves à l’échelle planétaire.

Aujourd’hui, est-ce une forme de vengeance, une revanche sur le passé ? De toute façon, cela n’explique pas leur comportement parfois étrange voire choquant. Ils nous font des grimaces dessinant leur bêtise. Puis, Ils nous lâchent dans un labyrinthe avec une mine d’obstacles à contourner et j’en passe. Ce sort est réservé aux plus chanceux. Le reste de la troupe – la majorité – subit un autre traitement : une injection de produit dont j’en suis moi-même, à l’heure actuelle, victime. Les autres – une petite poignée – ont droit à une autre faveur : peut-être une greffe d’organe ? J’ignore.

En effet, je devine un poison qui s’installe dans mon corps.

Quand deux grandes civilisations se croisent, il existe souvent deux types de camp : la Belle et la Bête. De leur union naît une incompréhension croissante. Pourquoi tant de haine ? Je ne comprends pas pourquoi les Blouses Blanches s’acharnent sur nous : cobayes ou animaux de foire ?

Il faut que cela cesse ! La paix est improbable. Il nous faut, à notre tour, prendre notre revanche qui ira fatalement dans le sens d’une plus grande violence. La vengeance appelle la vengeance. C’est bien connu ! On ne sait jamais qui a commencé le premier. Mais au fond, on s’en fout royalement. Qu’importe la civilisation, le principal est de protéger ses frères et sœurs. Sans oublier sa progéniture.

Pour l’heure, je suis quelque peu étourdi par ce liquide qu’ils m’ont injecté. Le poison circule dans tout mon corps marqué par des symptômes qui me sont inconnus.

Que m’arrive t-il ? Je n’arrive pas à contrôler mes sens. Que m’ont-ils fait ? Je erre sans but dans ma cage de luxe : une arène trois étoiles.

Les Blouses Blanches attendent quelque chose de moi. Ils ne cessent de m’observer. Je suis devenu leur objet de convoitise.

Puis, plus rien !

Suis-je mort ?

C’est abominable. Je me retrouve dans une sorte de déchetterie de rats : un cimetière de mort-vivants ! C’est inimaginable. L’odeur des cadavres empoisonne l’air. De plus, l’atmosphère qui y règne est un chapitre de la fin du monde. Je ne m’habituerai jamais à l’exhalaison des corps en décomposition avancée. On nous a abandonné à notre sort !

Dès lors, l’esprit de riposte me gagne – plus en force – et s’agrippe à chacune de mes cellules. Cette fois, c’en est trop : il faut agir au plus vite sur notre destiné ! Nous ne pouvons pas laisser les Monstres nous charcuter, nous dépecer vifs. Le tout de manière ignoble. Notre vengeance a sonné. Servons-nous de notre grand atout : le nombre d’individu. Nous pouvons nous reproduire rapidement et former une armée de rats d’égouts. Notre force : le virus ANB1-C2, écrit sur un flacon. D’après mes propres observations basées sur mon cas – je suis aussi un cobaye – et ceux qui se trouvent dans la déchetterie, j’en ai conclu que cela pourrait faire des dégâts dans le monde des Géants. Ils seraient mutilés comme la majorité d’entre nous. Pour ma part, ce corps qu’ils ont souillé souffre de diarrhée, de douleurs musculaires et j’en passe. Mais, je pense que ce corps m’aidera à sauver mon peuple.

Actuellement, je suis persuadé que nous sommes victimes des recherches menées sur le virus ANB1-C2 derrière le rideau des laboratoires. En effet, ils expérimentent ce germe sur nous depuis plusieurs générations sans résultats probants. Ce qui pourrait expliquer ce cimetière de morts-vivants. Cela signifierait que nous pouvons leur transmettre ce poison qui coule dans nos veines, si nous nous organisons un minimum et en n’ayant pas peur de se sacrifier pour la Liberté. Nous sommes suffisamment résistants à leur germe le temps de les contaminer. S’en suivra une épidémie voire, avec de la chance, une pandémie.

Le sort en est jeté.

Désormais, je connais leur point faible et il est de mon devoir de mener le combat contre nos Tortionnaires.

Levons une armée ! Et verront ceux qui vivront.

Pour l’instant, je résiste au virus ANB1-C2. Je sais ce qu’ils m’ont fait subir pendant mon état conscient. Ils m’ont ouvert le ventre. Ils m’ont injecté ce produit nocif pour eux, les Monstres.

Il nous faut sortir de ce cimetière.

J’ai survécu malgré qu’ils aient jugé bon de me jeter dans la déchetterie de cadavres ambulants. Pour la plupart, ce sont des rats de la même famille que moi. Ils ont fait une grave erreur. Ils me croient mort dans ce qu’ils appellent communément le Sanctuaire des Arts Anatomiques. J’avoue que ce terme m’échappe. Qu’entendent-ils par Arts Anatomiques ? Cela est un grand mystère !

J’arrive à peine à motiver les troupes : les rats sont mutilés, à moitié en état de marche ou morts. Qu’importe ! Levons notre armée !

Voilà deux jours que nous – les survivants – arpentons les longs couloirs du Monde des Monstres : les Humains. Nous avons réussi, avec un minimum de ruse et d’audace, à nous échapper de leur Sanctuaire. Mais la majorité abandonne. Leur petit corps leur fait souffrir.

Pourquoi tant de fantaisie – des rats paralysés par un poison – chez les Blouses Blanches ? Pourquoi tant de cruauté ?

Puis, je me retrouve seul.

Loin de ce Musée des Horreurs, je cherche à fuir par tous les moyens le laboratoire. Dorénavant, il faut que j’informe mes congénères, restés à l’extérieur à l’abri des Monstres, du sort qu’ils nous réservent si on ne réagit pas tout de suite. Il faut que vengeance soit faite.

Apparemment, j’ai semé le trouble au sein des Blouses Blanches lesquels circulent avec alerte dans le bâtiment. Toutes les issues sont fermées. Impossible de sortir. Mon évasion n’est pas restée inaperçue.

Depuis le début, je sais que je suis l’élu. Celui qui détient la clé de la guérison. L’idée d’être des œuvres anatomiques est absurde ! En réalité, je persiste à croire que je suis leur unique antidote contre un virus virulent.

Hélas, je suis fais comme un rat. Je ne pourrai plus venger les miens à moins d’un miracle.

Emorizo, alias F. Ménez

Copyright © Tous Droits Réservés, Extrait de « Rendez-vous insolites avec le destin » (2009), F. Ménez-2018

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