De l’autre côté…

Absorbée par une force inconnue, Emâ erre dans la spirale de son inconscient. Soudain, un étrange son la captive. Elle goûte à cette douce mélodie venue de nulle part. Elle est comme possédée. Puis, sans prévenir, elle a comme des frissons tout le long du corps. Ses yeux l’accompagnent, avec légèreté, vers une imposante porte. Cette dernière commence à peser lourd sur la conscience. La mort elle-même semble lui avoir composé un requiem. Un instant, Emâ sent le diable en personne l’habitait avec beaucoup de raffinement. Sur le panneau est peint en encre de sang : « A votre place, je n’ouvrirais pas cette porte ! Mais, c’est vous qui voyez… ! » Son sang se glace. Elle fait un pas en arrière. Mais la mélodie résonne au plus profond de son être… Elle se sent si sereine. C’est si agréable. La musique est si intense. Et, la tentation est plus forte. Pourtant, elle essaye de résister.

Une minute. C’est tout réfléchi, à trois, elle décampe de ce lieu diabolique. Tandis que la musique continue à l’attendrir, elle est envahie par un sentiment d’impuissance. Elle rumine. Elle ne sait plus quelle décision prendre. Elle est perdue. Elle est comme rongée par la peur et la curiosité…Et puis, après tout, pourquoi pas ? Pourquoi ne pas voir ce qu’il s’y cache derrière ? De toute façon, elle se fiche éperdument de ce qui est inscrit sur le panneau. Ne pas se fier à l’aspect hideux de la porte ! La tentation prend alors ses armes. Tant pis, elle ouvre la porte. Et là…

Rien d’effrayant. Au contraire, derrière cette porte, une salle blanche se matérialise. Elle se laisse bercer et se dirige vers ce qui lui semble être un mobile. Quelle douce mélodie ! Une force inconnue, envoûtante et mystique l’invite à décrocher. Puis…

Puis, une voix mielleuse lui répond : « Merci de prendre du temps pour m’écouter ! Cela fait une éternité que je n’ai pas eue de visiteur. » Au fur et à mesure de la conversation, une télévision prend forme, ainsi que tout un mobilier. Un décor trompeur se dessine alors.

La petite voix fluette et discrète convie Emâ à s’installer devant le petit écran… Mais, celle-ci est réticente. Néanmoins, elle se noie littéralement dans la conversation. Au fil du temps, la voix l’apprivoise de ses mots enchantés, maquillés par de beaux discours. Puis vient le moment, celui qu’on ne voit pas venir. La voix l’invite à braver l’interdit : allumer la télévision. Ce fruit est défendu selon le code du royaume d’Asgarwolth.

Abandonnée dans un salon lumineux, la vieille télé dort là depuis fort longtemps. Sur une petite table, une cassette, qui repose là, attise sa curiosité ! Elle l’attendait. Emâ s’approche avec hésitation. Soudain, l’atmosphère devient étouffante, poussiéreuse et laisse couler un long moment de solitude. Emâ s’apprête à rebrousser chemin. Son cœur bat vite. Puis, résolue, Emâ ose. Elle ose franchir le pas. Malgré une ambiance glauque qui règne en maître dans la pièce, elle donne vie à la petite lucarne. Elle insère la cassette dans le magnétoscope. Pénétrante et inquiétante, la salle pèse sur la conscience dénaturée de la jeune femme. « Mais qu’aies-je fait… ? », Murmure t-elle. Trop tard, le fruit défendu lève le rideau sur un vieil homme à l’allure cafardeuse et les yeux sortant de leur orbite. Emâ est ainsi happée par la froideur du personnage.

L’homme, caché derrière l’écran, est ébouriffé. Il a l’air d’un aliéné perdu dans ses pensées, parlant tout seul. Puis, il dévisage Emâ: « Ah ! Vous voilà… Je vous attendais ! » La femme reste interdite, ses yeux cherchant leur orbite. Et, à l’homme de rebondir : « Oui, vous ! Vous m’entendez, n’est-ce pas… ? Il faut absolument que je vous dise… » Emâ a cette étrange sensation qu’il s’agit bien là d’un canular.

«Ecoutez-moi attentivement ! Je suis enfermé dans cette boîte. Mon nom est… Non, ne rien dire ! Surtout, se taire. Ils sont là. Ils nous observent comme des rats de laboratoire. En réalité, nous ne sommes pas ce que nous sommes. Vous m’entendez… ?! Nous ne sommes pas ce que nous sommes ! L’être humain n’existe pas… ! »

Stop. Emâ fait une pause. Elle affiche un sourire inquiet. Elle détourne son regard de la télévision et l’idée du canular, orchestré par un fou, continue à circuler dans son inconscient ! Mais, comme tenue par un fil invisible, le fou éveille en elle le désir d’en savoir plus… « Ecoutez-moi bien ! Je vous en supplie, écoutez-moi ! Vous êtes mon seul espoir ! », Insiste l’inconnu à la voix mielleuse.

Pause.

Soudain, elle entend un bruit… « Vous les entendez aussi… ! Ils arrivent… ! », Murmure l’homme en aparté. Bluffée, Emâ acquiesce. Tout à coup, deux individus rentrent dans ce qui semble être une chambre. « Monsieur, il est l’heure de prendre vos médicaments… ! Je vois que vous parlez encore à votre télé… », Dit l’un des deux. Ils remarquent à peine la présence de la jeune femme qui se trouve de l’autre côté de l’écran et ils vaquent à leur occupation. Puis, ils laissent le vieil homme seul face à ce qu’il a de plus cher : sa télévision.

La femme, stupéfaite, lit un long silence dans les yeux du vieillard, comme éteints, déconnectés du monde. Soudain, elle se sent comme aspirée par le regard hagard de l’homme qui cherche ses yeux. Elle est perturbée. Elle ne sait pas comment réagir. Elle se laisse envoûter.

« Laissez-moi sortir… », Hurle l’homme, prisonnier de la boîte en métal. Emâ approche sa tête de la petite lucarne : elle ose à peine la toucher. Elle a un doute. Et si… Non, ce n’est pas possible. Elle est poussée par un je-ne-sais-quoi qui l’amène à plonger sa main à travers l’écran. Mais au dernier moment : elle stoppe son action. Curieux… !

L’homme, de son côté, invite la jeune femme à le libérer de toute urgence. Le temps est compté. C’est irrationnel. La jeune femme reprend ses esprits. « Ecoutez-moi ! Nous n’existons pas ! Nous sommes des personnages : vous et moi ! Qui, derrière son écran, est réel ? », Pleure le vieillard en aguichant la jeune femme, déconnectée de la réalité.

Et, si l’homme disait vrai. Et, si tout ce qu’elle voit n’est qu’une illusion…

Le décor de la pièce blanche commence à rétrécir. Elle ne sait plus qu’est-ce qui est réel ! Elle franchit le pas. Elle se laisse fondre dans le décor, fascinée par l’acteur de cette tragique comédie. Elle est absorbée par la télévision après y avoir plongé sa main droite, son avant-bras, son autre main, sa tête et son corps tout entier. Elle succombe au jeu de l’acteur. La tentation est trop forte. Sa raison est impuissante. Elle appartient désormais à l’autre monde…

L’homme sourit. Enfin, le voilà sauvé ! Il n’est pas fou. Elle existe ! En réalité, elle a quitté un monde pour atterrir derrière le rideau de la mort. Le décor est rustique. Rien à voir avec son monde. Pourtant, quelque chose cloche ! A-t-elle conscience de se qui se trame sous ses yeux ? Elle aurait peut-être dû être plus attentive au message inscrit sur la porte d’entrée : « Priez de ne pas entrer… ! »

Sans prévenir, une vieille femme arrive. Elle a l’air de sortir tout droit d’un roman d’Edgar Poe. Elle a l’allure d’une bohémienne, diseuse de bonne aventure. Elle ignore Emâ.

On est souvent tenté de suivre le fil de sa curiosité. Tel est le cas d’Emâ qui se confronte à l’irrationnel. Tout à coup, Emâ sent que son corps se ramollit sous le poids de cet intriguant décor théâtrale. « Encore en train de jouer avec des marionnettes ! », Chante la vieille qui porte maintenant une attention toute particulière à l’inconnue. Puis, elle s’en va…

« Encore une folle… ! », Chuchote le vieux fou. Emâ s’approche timidement de l’homme. Elle a envie de le toucher pour être sûre de ce qu’elle vit en ce moment. Elle a basculé dans un monde étrange.

Emâ, désorientée, demande à l’homme : «  Où sommes-nous ? » L’homme lui répond avec un brin de philosophie : «  Nulle part et ailleurs ma chère ! Un asile pour les uns ! Une terre promise pour d’autres ! Une seule chose est sûre, vous n’êtes plus qui vous étiez ! Vous avez franchi la ligne qui sépare nos deux mondes ! Erreur, vous voilà bien prise par votre curiosité dans cette cage aux lions… » Emâ ne comprend pas les propos du vieux fou. Elle est à son tour prisonnière de cet asile de fou. Le vieil homme l’invite à le suivre à travers les couloirs de son inconscient… Et là, l’homme disparaît comme une brume qui se lève…

Son visage est humide. Emâ ouvre les yeux. C’est Rembrandt, son fidèle chien, qui lui lèche la figure. Ce n’était rien qu’un rêve. Une illusion… ! A peine sortie du lit, elle reçoit un appel anonyme : « Etes-vous prête à découvrir qui je suis et à me suivre ? Il suffit d’ouvrir… la porte. » Elle reconnaît la voix : c’est celle du vieil homme qu’elle a croisé dans son rêve. Elle est tentée de savoir ce qui se cache derrière la porte en se demandant si elle rêve encore… Finalement, elle l’ouvre doucement… juste pour voir, rien qu’une seconde, une minute, une heure, un jour, une année, une éternité…

Emorizo, alias F. Ménez, extrait de Rendez-vous insolites avec le destin

Copyright© Tous Droits réservés, Rendez-vous insolites avec le destin, F. Ménez-2016

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